ITECC 8 Octobre 2015 – LE JEU DANS LA CLINIQUE ORTHOPHONIQUE – Vignette clinique
« LOUISE ET LE BEBE QUI DORT… »
« Il n’y a pas d’éveil sans exil » (Philippe Lacadée)
« Noir, blanc, bleu clair… » : nos premières rencontres
Louise a neuf ans lorsqu’elle arrive dans l’institution et que je la rencontre : elle vient dans mon bureau sans manifester d’appréhension, se montre enjouée mais croise peu mon regard… D’emblée je suis frappée par ses difficultés de compréhension massives. Je parviens à comprendre qu’elle a un lapin et à la question : « comment il est ton lapin ?» elle me répond : « Noi, bianc, bieu clair… »…
Son expression spontanée est singulière : elle jargonne le plus souvent, de façon très mélodieuse, et semble prendre plaisir à « la musique du langage » ( Bernard Golse), peut-être même qu’elle s’en soutient. Face à l’autre elle en passe moins par le signe (linguistique) que par le corps (gestes, mimiques) et les sonorités du corps (rires, intonations mélodieuses, onomatopées…). Un corps au service d’une communication affective.
De ce flot sonore, quasi continu, de ce plein, un peu de langage articulé émerge : quelques mots compréhensibles, bien nets du point de vue articulatoire. Ce qui est formulé reste du côté de l’objet présent, dans la désignation.
Louise n’en est pas à la phrase, mais, sollicitée à partir de supports imagés que je lui propose de décrire, elle s’approche de la structure sujet-verbe-complément (sans déterminants ni formes verbales conjuguées). Elle trouve même des stratégies palliatives (gestes, mimiques, onomatoppées) : « regadé bêê jounane » (image d’un mouton qui regarde le journal).
Je ne comprends presque rien de ce qu’elle dit, elle ne me comprend pas non plus, mais quelque chose d’assez joyeux émane de nos premières rencontres car Louise est rieuse, pleine d’entrain. Et en même temps, ça sonne un peu faux, sa bonne humeur paraît de trop… Ses dessins aussi sont du côté du décor : elle y reproduit des tracés appris, pour faire joli. Là encore elle se tient en-deça du sens.
Quel est son mode de lien à l’autre ? Son regard n’est pas totalement établi, la psychomotricienne rapporte qu’elle ne supporte pas qu’on la touche. Son « chantonnement » vient remplir et lui procurer peut-être un plaisir sensori-moteur .Il me semble relever aussi de l’esquive, d’une tentative d’amadouer l’autre avec du « bon contact », tout en évitant la rencontre. Et surtout, elle n’a pas accès au « je » et au « tu ».
« Bébé é do(r)mir » : la première année
Je lui propose un suivi orthophonique, à raison de deux séances par semaine. Les premiers temps, Louise ne prend aucune initiative et reste passive. Mais ce dans quoi elle s’engage tout de suite touche au cadre de nos rencontres, à leur rythmicité, qu’elle investit verbalement : à chaque fois qu’elle entre dans le bureau et en repart, elle répète : « Lundi…Jeudi ! Lundi…Jeudi ! ». Cela me soutient, ainsi que son plaisir pris au « Jeu du poulailler » – jeu de hasard où il s’agit de gagner le plus d’œufs possible – qui nous permet d’échanger quelques mots, que quelque chose circule en nous. Dans ce « nous deux » où la situation d’énonciation est circonscrite, elle se saisit de ma parole (au sens premier de la recevoir et la renvoyer), réduite à son minimum : « gagné ! », « super ! », « raté ! », « zut ! » …L’échange verbal entre nous émerge.
Trois mois sont nécessaires avant que Louise ne vienne dans ce lieu pour y faire quelque chose qui la concerne. Elle investit essentiellement trois jeux…
le jeu avec les animaux et les Playmobil : « bébé é do(r)mir »
Un jour Louise va chercher des animaux et des personnages Playmobil et s’engage, à mon grand étonnement, dans de petits scénarios. Elle anime et fait parler un bébé, d’abord un bébé animal, plus tard un bébé Playmobil . Il se blesse : il est tombé, a mal à la patte, s’est cassé le pied ou s’est brûlé la queue… Sa maman l’amène chez le docteur ou le vétérinaire.
Lorsque Louise met en scène ces petites séquences, je suis impressionnée par sa concentration, sa gravité, si loin de ce qu’elle donnait à voir au début de la prise en charge. Elle me sollicite pour que j’anime les personnages adultes : je deviens partenaire langagier, dans du lien verbal dialogique, autour du prendre soin. Dans ces ébauches de jeu symbolique quelque chose s’engage du côté du transfert, mais ce qui s’amorce aussi, c’est un recours possible à de l’énoncé qui s’échange avec l’autre, même si le jargon domine encore.
Puis le bébé a mal à la tête, a fait un cauchemar, ou a très peur : quelque chose du vécu interne, émotionnel, est nommé, et prend consistance au travers du langage. Louise commence à rendre compte de la vie psychique.
Ce scénario initial va ensuite évoluer et s’organiser autour de petites scènes familiales : la maman prend la voiture, se rend dans les magasins ou va chez le docteur… Je peux progressivement occuper différentes places d’énonciation et nos interactions dialoguées (entre le papa et la maman, la maman et le docteur, le vétérinaire ou le vendeur de fruits…) s’étoffent tout doucement.
Louise investit pleinement ce travail de mise en scène et de mise en récit. Mais maintenant le bébé n’est plus animé. Il est toujours présent, et c’est bien lui que Louise va chercher en premier. Elle l’allonge et signifie : « bébé é do(r)mir ». Rien n’arrive à ce bébé, laissé comme un « objet » dans le décor (ce sont mes associations). Du point de vue de l’énonciation, ce bébé – comme le formule Benveniste à propos de ceux qui « ne sont pas en charge d’assumer un acte d’énonciation » – est « en position de non-personne ». J’investis ce bébé, il m’interpelle, il me mobilise… J’essaie de l’animer parfois mais mes interventions sont rejetées. Des ruptures de jeux s’ensuivent : Louise interrompt alors brutalement ce qu’elle fait et range le matériel, sans pouvoir rien en dire.
le « jeu du sablier » : « Dis…/pa…/ru ! »
Louise découvre un jour un sablier, le manipule… Au fil des séances, nous prenons l’habitude de regarder ensemble le sable qui s’écoule, le creux qui se forme quand il n’en reste plus qu’une petite quantité avant qu’il ne tombe et passe de l’autre côté .Dans ce temps d’attention conjointe, nous disons d’une même voix, de plus en plus fort : « il est où le trou ? » …et, en accompagnant ce laps de temps où il ne reste plus que quelques grains de sable qui chutent, s’en vont, où le creux qui s’était formé disparaît définitivement, nous scandons : « Dis …» … « pa …»… « ru ! ». Dans cette sorte de langage de l’unisson qui tient, porte, ne sépare pas (encore), nous signifions le passage du plein au vide, de la présence à l’absence, de l’écoulement/chute du « ça passe » à « ça ne passe plus »/quelque chose est révolu… Ce temps de regard commun devient un rituel et Louise prendra appui, les séances le montreront, sur ce signifiant « disparu ».
C’est la fin de la première année de prise en charge et les temps jargonnés dominent encore. Mais j’observe que Louise a plus à en dire à l’autre sur l’objet et ses propriétés. Elle se lance dans l’expansion du nom : « c’est bouteille dé fille », « la coussin [≈à la] gaçon ». Commenter à propos de l’objet présent, c’est s’éloigner de la stricte désignation et c’est chercher à clarifier, préciser à l’intention de l’autre. Son recours au langage montre qu’elle creuse l’écart intersubjectif.
« Disparu… ! » : la deuxième année
La deuxième année de prise en charge s’engage. Louise est aux manettes et elle signifie ce positionnement dans la maîtrise, face à l’autre : « c’est moi commence » (début de séance) / « tout, c’est moi ! » (qui range).
Le bébé dort encore…Dans les scénarios apparaît un nouveau motif, sans doute en lien avec son vécu, celui des « travaux » : la maman ou d’autres personnages sont en voiture, doivent s’arrêter « aux travaux » et attendre que le monsieur des travaux ait fini, avant de repartir. Louise mobilise de nouveaux énoncés – que j’investis et soutiens verbalement – autour du « ça passe/ça passe pas » et « on attend »…Un jour, au mois d’Avril, Louise annonce : « Changé ! Y’a plus travaux ! Fini ! » et elle reprend avec la même intonation notre mot du jeu du sablier : « Disparu !». L’alternance présence/absence trouve ici à se représenter sous la forme d’une péripétie.
Le bébé est toujours allongé, mais il commence à exister davantage. Louise l’investit maintenant dans le prendre soin en lui préparant un lit, en le couvrant : « C’est bébé…(cou)véture…froid » . Elle accepte aussi que je l’anime de temps en temps et reprend avec beaucoup de plaisir les petits bruits du corps que je propose autour de l’oralité alimentaire (bruits de succion, de déglutition), puis autour de l’oralité verbale (babil, gazouillis)… Dans le même temps, le thème de l’oralité se déploie dans ses scénarios : la maman donne à boire au monsieur des travaux, au docteur, elle nourrit le chat…
le jeu « des voitures »
A la fin de la deuxième année, Louise investit un nouveau jeu, en alternance avec le jeu des Playmobil. Elle pose sur la table un bac rempli de petites voitures ainsi que du matériel symbolique (un feu, parfois un stop).Elle pose en premier le feu rouge qu’elle nomme « feu », « ça c’est sotir » (pour sortir), ou « bayères »… Elle sort une à une les voitures du bac et les dispose avec soin en file derrière le feu rouge ou le stop. Cette disposition est nommée (« à la queue leu leu »).Elle vide ainsi la totalité du bac. Puis elle énonce « feu vert » ou « ouvert », et très méticuleusement, fait passer les voitures par petits groupes de trois ou quatre, les arrête plus loin dans un autre lieu qu’elle baptise « Lidl » ou « garage ». Elle annonce ensuite « feu rouge » ou bien « fémé », ce qui interrompt le passage des autres voitures, qui attendent… et ainsi de suite. Une fois qu’il ne reste plus aucune voiture derrière le feu rouge, elle signifie : « Y’a pésonne » ou « disparu » et « Garage, i bouge plus », lorsque toutes les voitures sont garées. Ensuite elle range méticuleusement toutes les voitures dans le bac. Le jeu est terminé.
Des images de transvasement (et la théorisation de Geneviève Haag à ce sujet), celles aussi de notre jeu du sablier, m’accompagnent et me soutiennent dans ces moments-là.
Autour du passage du temps, du temps qui s’écoule … un intérêt (voire une préoccupation) apparaît : Louise se met à regarder souvent la pendule, et questionner sur le temps qui reste avant la fin de la séance.
Ce troisième jeu (proche d’un jeu de manipulation) est un temps dans du « pour soi », mais sous mon regard. Louise fait ses expériences en le sollicitant très régulièrement. Mon attention ne doit pas fléchir : « regade !». Je constate une nouvelle conduite langagière : Louise ne parle quasiment pas, ne jargonne plus, elle signifie des états et des changements. Elle use aussi du langage pour ponctuer, scander un déroulé d’actions répétitives. Je peux répéter régulièrement ce qu’elle dit, le lui faire ré-entendre avec ma propre voix, qui vient attester de ma présence, de mon implication, et de ce qui peut être partageable. De discrets bruits de déglutition accompagnent ses actions. Elle est dans le plaisir de la répétition et de la maîtrise.
Sur ce fond de répétition des variantes émergent : de une, on va passer à plusieurs files de voitures. Il s’y crée des sortes d’embouteillages différemment nommés là encore : « emteillage », puis « bug » ou « ça coince », « b(l)ioqué », « bouge plus »…comme des variantes du « ça ne passe pas ».
Et le bébé, lui, s’éveille…Louise imbrique parfois les deux jeux : les personnages Playmobil côtoient les files de voiture et cette fois il y a deux mamans et deux bébés qui s’amusent ensemble. Les verbes de mouvement et les formes verbales conjuguées y sont de plus en plus présents. Les mamans s’adressent à leur bébé : « Lève ! é monté ! Allez viens !».
Au terme de cette deuxième année, le langage commence à l’emporter. Louise évoque et raconte davantage. Ses temps de jargon sont moins importants, elle a davantage de discours à proposer à l’autre, la nuance y apparaît : « trop grand » « un peu cassé ».
Le vocabulaire de l’auto-désignation et de l’interaction est très mobilisé. Louise se situe et me situe davantage dans la relation, avec toute une déclinaison possible autour du je/tu, même si elle n’a pas encore accès aux pronoms sous leur forme pleine. Je répète après elle, reformule (à moi ! à toi ! c’est le mien ! pour toi…). Je peux maintenant éclairer et soutenir ce qui, dans son langage, rend compte de l’écart l’intersubjectif et de l’altérité.
Louise signifie ses intentions : « vais zoué à ça » ou « et après vais cheché un truc ». Entre le mot et l’acte, le lien peut se distendre un peu.
Elle commence aussi à articuler langage et affects, à rendre compte de sa propre vie psychique : « moi z’adore ça » « é préféré ça »,« rangé camion-é pas envie », « m’énerve ! ». Une parole de soi émerge.
Ce qui s’écoule, et la dimension de perte qui y est associée, commence à être verbalisé, sur le registre temporel. Louise se soutient maintenant du langage pour s’inscrire dans la temporalité : quelques flexions verbales sont ébauchées, les adverbes de temps « après » et « ensuite » émaillent son discours. Dans le même temps elle explore la forme narrative et son déroulé chronologique : « i va au lit bébé…fatigué… i dort ».
« La possibilité d’une trace » : la troisième année
C’est la troisième année. Les jeux se poursuivent. Louise dessine davantage et cherche à représenter….Suite à un changement de bureau, elle va interrompre tous ses jeux pendant quelques séances, et revenir au jeu du poulailler devenu « aire de repli »…Puis ses jeux reprennent.
Dans ses petits scénarios avec les Playmobil, un cheval arrive ! Et avec lui, un souffle nouveau, un élan… Ce cheval fait ses besoins et le vocabulaire autour de l’analité est mobilisé. Dans une grande jubilation, Louise prononce les mots « caca », « beurk », « nettoyer »…
Quelques séances plus tard les deux mamans montent sur leur cheval et font la course : « Au galop ! En avant ! »…Dans le jeu des voitures, les véhicules s’animent, font des dérapages, que Louise nomme « bêtises » ou « tourbillons ». Les voitures klaxonnent, elles parlent …Je suis sollicitée pour des courses. La surface du bureau devient une possible aire de contact. Nous disons ensemble : « 1, 2, 3, go ! » et nous élançons notre voiture l’une vers l’autre. Les deux voitures se rencontrent et s’entrechoquent, ou s’évitent. Nous nommons ces « événements » : «boum ! » ou « raté », « loupé » ! Ce sont des moments de grand plaisir. Louise rit aux éclats et doit parfois s’interrompre pour aller aux toilettes.
Puis, dans ses scénarios avec les Playmobil, le cheval s’échappe de son enclos : « Cheval é pati ! », « Disparu ! ». La maman s’inquiète, et le retrouve, soulagée. Et plus tard c’est le bébé qui, à son tour, disparaît : il est « pati », « très loin », dans « la forêt », puis retrouvé.
J’y retrouve le jeu du « fort da » et sa dynamique symbolique… Louise fait fonctionner la présence/absence, elle est en plein dans ce travail primordial d’alternance symbolique – essentiel pour l’accès au langage – qu’elle s’approprie sous la forme de la péripétie du partir/revenir, du disparaître/ré-apparaître.
Enfin le mot « trace » arrive dans ses histoires. Louise l’investit dans de petites séquences narratives. Chaton et biches disparaissent, mais on retrouve leurs traces : « Regadez ! traces [≈de la] biche !», « Regade traces [≈du] chaton ! ». La trace qui vient en place de l’objet, qui renvoie à l’absence.
Mais aussi la trace comme représentation et inscription possible de soi. Bientôt, Louise amène en séance des éléments autour de ses origines, de sa filiation. Et pour la première fois, elle a recours à sa signature qu’elle inscrit sur son dossier et ses dessins…
Louise s’engage de plus en plus dans ce travail de mise en récit, avec le support de la mise en scène. Au terme de cette troisième année, ses énoncés s’étoffent : « vais chéché chaije pasque y’a pas ».
Une séance au mois de novembre me touche particulièrement …La maman et le bébé se promènent. Louise allonge la maman. Le bébé est laissé seul ; sa mère, tournée vers un ailleurs, ne le regarde pas. Louise le signifie : « regadé ciel », ou plus tard, dans une autre version, « regadé les étoiles ». D’abord le bébé joue seul, Louise l’anime …Puis intervient une séquence hors récit où elle vient me solliciter : le bébé va boire mon café (ma tasse est restée sur le bureau), alors je parle à ce bébé, je le nourris…
Le récit reprend. Le bébé disparaît : « Catatrophe !» dit la maman, qui s’anime, se relève. Le bébé est monté sur un arbre, et ce jour-là, l’arbre Playmobil est remplacé par le sablier : « Descend tout de suite !». Mais le bébé chute du haut de l’arbre. Le docteur (que je suis chargée d’animer) est à nouveau convoqué. La maman porte le bébé sur son dos, et c’est la première fois que la mère du corps à corps est représentée. A ce moment-là nous scotchons le bébé sur son dos. Il pleure très fort : « oin-oin !». Le docteur le soigne. Puis la maman le nourrit, lui donne le biberon : c’est aussi la première fois que le nourrissage mère-enfant est mis en scène.
Louise a bien maintenant un récit à proposer au sens où elle peut dérouler un véritable schéma narratif, tout-à-fait abouti : situation initiale, événement déclencheur, péripéties, solution puis situation finale.
Pouvoir régresser avant de franchir une nouvelle étape…Vont suivre de nombreuses séances où Louise va beaucoup scotcher, coller, recoller et le signifier… « i tient pasque ça colle !».
Quelque temps plus tard, ce sera au tour des voitures de chuter … Louise va s’amuser à les faire tomber depuis le bureau (dont la surface plane avait été investie lors des rencontres « chocs » entre véhicules). Puis elle y fera décoller et atterrir un hélicoptère, là encore dans des moments de très grande jubilation. Dans ces temps-là, j’ai à l’esprit ce que dit Winnicott, pour qui le temps du sevrage arrive quand l’enfant s’amuse à lâcher et faire tomber les objets.
En passer par le récit, pour aussi aller vers une « saisie de soi » (je pense à Paul Ricoeur et son concept d’ « identité narrative »)…Un jour, en décembre, Louise se met face au miroir (jamais investi auparavant), elle se regarde et dit à voix haute : « C’est moi ! ».
En guise de conclusion…
Le langage « est la séparation et ne dit que la séparation » (J.B. Pontalis)
L’accompagnement orthophonique se poursuit. Un an après, Louise aborde le récit depuis l’autre bord, en tant qu’auditrice. Cette fois je lui lis les albums qu’elle choisit. Et elle accède peu à peu au langage écrit… Dans son jeu avec les voitures (moins souvent investi qu’avant) elle explore et formule désormais autour de la place au sein du groupe : « ai doublé ! C’est interdit ! C’est moi la première ! ».
Pas de miracle, mais Louise me semble partie sur les bons rails. Elle adresse sa parole, comprend mieux, est plus compréhensible, peut davantage utiliser le langage à des fins subjectives. Elle s’est inscrite dans une dynamique de symbolisation, dans et par le langage.
Ce bébé qui dormait reste à jamais une énigme… Mais il m’a fortement mobilisée et m’a permis de rester impliquée même dans les temps de répétition.
« Il n’y a pas d’éveil sans exil » : je reprends ces mots de Philippe Lacadée, à propos du temps de l’adolescence. Ils rendent compte aussi, il me semble, du cheminement de Louise, de ce à quoi elle s’est affrontée, à sa façon.
Une petite citation en lien avec le thème de notre soirée et empruntée à…Eric Cantonna ! (entendu à la radio au moment où j’écrivais cette vignette): « Le joueur est un auteur » … je crois que le travail accompli par Louise en témoigne.
Audrey GUIOMAR (octobre 2015)